Samedi, à Fessenheim, des élus et des habitants de la région manifestaient contre la fermeture de la centrale nucléaire. Leur vœu sera peut-être exaucé par… EDF. Un an après l’élection de François Hollande, la promesse de celui-ci de fermer le site fin 2016 s’annonce déjà difficile à tenir. D’abord parce que la facture risque d’être salée car EDF, opérateur du site, compte réclamer une indemnité pour fermeture anticipée (postérieure de 20 ans). L’électricien s’engage certes à “respecter la loi” et à arrêter l’exploitation de Fessenheim si on l’y oblige. Mais l’État devra en payer le prix fort. La menace plane. “Nous n’entrons pas dans ces débats, réplique-t-on chez EDF. Nous ne donnons pas de chiffres.” Mais dans l’entourage de l’électricien, plusieurs sources avancent celui de 5 milliards d’euros. Certains font monter les enchères jusqu’à 8 milliards, sans toutefois justifier une telle somme.
Un grand bluff qui agace la ministre de l’Écologie. “Je ne partage pas cette vision qui est différente de la nôtre, confie Delphine Batho au JDD. Nous discuterons d’une indemnisation une fois la loi votée début 2014.” Pour l’heure, EDF est en position de force. En début de semaine, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) lui a donné son feu vert pour prolonger l’exploitation de Fessenheim jusqu’en 2022. Déjà cinq années de gagnées au-delà de la date fatidique. L’électricien, lui, considère qu’il peut exploiter les réacteurs alsaciens pendant encore vingt ans. Selon ses calculs, une fermeture anticipée le priverait de 200 millions d’euros par an. S’ajouteraient à cela le remboursement de 150 millions d’euros d’investissements non amortis et l’indemnisation des clients allemands et suisses qui achètent l’électricité produite dans le Haut-Rhin. Même si cette facture est gonflée pour entamer les négociations, l’addition risque d’être salée. D’autant qu’EDF espère recevoir l’autorisation d’exploiter Fessenheim jusqu’en 2032. Pourquoi pas jusqu’en 2050?
Reste que le gendarme du nucléaire ne se prononcera pas avant le vote de la loi l’an prochain.
Quand EDF joue la montre
Le délégué interministériel chargé de la fermeture de Fessenheim s’agace de cette spéculation. “Les discussions sont compliquées avec EDF, concède Francis Rol-Tanguy. Mais je n’ai toujours pas été saisi d’une demande d’indemnisation.” Pour sa part, le gouvernement n’avait pas anticipé ce coût à plusieurs milliards. “Il croyait que ça serait gratuit”, admet un proche des pouvoirs publics. Le sujet crée un malaise auprès de plusieurs députés socialistes. “C’est tabou, reconnaît la petite main d’un pilier de la majorité. Rien ne sera dit avant les municipales pour éviter de fragiliser l’accord avec les Verts.” EDF le sait. Son PDG, Henri Proglio, est soutenu par la puissante CGT, qui vient de lui offrir sa carte d’adhérent!
Le gouvernement doit aussi gérer un calendrier très serré. Dans trois ans et demi, la centrale doit fermer, alors que la procédure prend environ cinq ans… “La balle est dans le camp d’EDF qui peut boucler son dossier en un an, assure le directeur général adjoint de l’ASN, Jean-Luc Lachaume. Ils nous ont dit qu’ils allaient mettre des équipes en place…” L’électricien joue la montre en attendant la présidentielle de 2017. Le temps presse. L’ASN doit recevoir la demande de fermeture de Fessenheim de la part d’EDF au plus tard mi-2014 pour enclencher ses contrôles, qui dureront entre deux et trois ans. “Le calendrier de fin 2016 reste réaliste mais il n’est pas évident à tenir”, avoue Francis Rol-Tanguy.
L’obstacle de l’EPR de Flamanville
Un dernier obstacle s’invite dans la bataille : l’EPR de Flamanville. François Hollande avait promis son ouverture en 2016 pour apaiser les craintes d’un manque d’électricité lié à la mise à l’arrêt de la centrale alsacienne. “Il n’est pas nécessaire que Flamanville ouvre pour que Fessenheim ferme, affirme Francis Rol-Tanguy. Mais leur concomitance fait partie des engagements du président.” Les connaisseurs du dossier craignent que le lancement de l’EPR dérape encore. “Le dôme [toit] de Flamanville sera posé en août 2013. Jamais une commercialisation n’a eu lieu trois ans plus tard, mais plutôt quatre ou cinq ans, estime Sophia Majnoni, chargée de campagne nucléaire pour Greenpeace. Le délai atteint sept ans en Finlande.” De son côté, EDF maintient son planning. Francis Rol-Tanguy pointe une solution de secours. “On peut décréter l’arrêt de Fessenheim fin 2016 quitte à prolonger la centrale jusqu’en avril 2017 pour couvrir les mois d’hiver”, explique-t-il. Un retard du calendrier est déjà dans toutes les têtes.
JDD.