Politique

Europe, qui en veut?

Les plateaux de télévision se succèdent, depuis les élections municipales. Les ténors de l’UMP essaient de répondre aux ténors du Parti socialiste, pour expliquer que la « branlée » des municipales n’est pas due qu’au président de la République, mais à l’impatience des Français devant les réformes. Les caciques de la rue de Solférino, avec la modestie qui les caractérise, donnent à qui mieux mieux des leçons de présidentialisme à Nicolas Sarkozy, expliquant que sa fascination pour l’opulence a choqué les Français qui souffrent.

Curieusement, personne ne parle, pour expliquer la chute du Président, de la ratification du traité de Lisbonne. Certes, on ne peut pas dire que les partisans du « non » ont réussi à galvaniser les foules, malgré une volonté méritoire, lors des quelques semaines de campagne. Les citoyens ont bien senti que c’était plié, et que cela allait passer. Sur le fond, au-delà des gesticulations politiciennes, ce vote par le Parlement, voulu par Sarkozy, en contournant le peuple, arrange bien tout le monde. D’abord, la majorité des journalistes qui occupent les écrans, et les principaux médias, avaient fait campagne, de manière souvent outrancière, pour le « oui » au TCE en 2005, et avaient, à l’instar de Serge July dans « Libération » considéré que le peuple était “vraiment trop con” pour qu’on lui demande encore son avis. Sarkozy les a comblés.

Le Parti socialiste, souvent plus européiste encore que la droite, a volé à son secours. Dans son discours, à l’assemblée nationale, Nicolas Dupont-Aignan a eu beau jeu de leur mettre “le nez dans le caca”, quand ils font des gesticulations de procédure, deux jours après avoir fait ratifier le traité à Versailles, sauvant ainsi la mise de Nicolas Sarkozy (1). Comment pouvait-il en être autrement ? Certes, Ségolène Royal avait fait sa campagne en promettant, contrairement à l’infâme Sarkozy, de consulter le peuple sur l’Europe. On a vu que, là-dessus, les socialistes n’ont rien à envier à Charles Pasqua, qui, avec son cynisme, disait que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

Cela est cohérent, on voit les pires partisans du « oui », ceux qui nous insultaient en 2005, venir parader à nouveau sur les plateaux de télévision, de Moscovici à Lang, en passant par le retour médiatisé d’Aubry, qui nous traitait de racistes parce que nous parlions du plombier polonais, à Guigou, qui avait promis d’arrêter la politique si le « non » l’emportait. Quant à Fabius, son silence nous fait penser que, finalement, Julien Dray n’avait peut-être pas tout-à-fait tort quand il disait, dans son dernier livre, que celui-ci avait voulu monnayer son soutien au « oui » contre l’investiture aux présidentielles. Les Verts, adeptes de l’éclatement de la République au nom de l’Europe des régions, ont su être discrets, laissant les socialistes faire le sale boulot.

Responsables de l’UMP comme du PS savent pertinemment que si on avait demandé l’avis du peuple, le « non » l’aurait emporté, et encore plus largement que la première fois. Ils savent que le verbiage gauchiste de certains partisans du « non », dépourvu de toute référence républicaine, ne peut pas soulever les masses.

C’est pourquoi, sur les plateaux de télévision, vous n’entendrez pas Nicolas Dupont-Aignan, ou de sincères républicains de gauche, voire la moitié des élus socialistes qui ont voté non (en sachant que cela ne serait qu’un baroud d’honneur) expliquer que, dans la chute de Sarkozy et la perte de municipalités UMP, la question de l’Europe, et le mépris du peuple, a eu son importance.

De même, vous n’entendrez personne, sur ces plateaux, expliquer la chute de l’UMP par les propos présidentiels tenus à Rome, à Ryad, ou devant le Crif.

Pourtant, le journal « La Croix » nous explique, le jour du printemps, que la majorité des citoyens de ce pays a désapprouvé ces discours. Mieux que cela, le quotidien catholique nous confirme que 71 % des Français veulent garder telle quelle la loi de séparation du religieux et du politique de 1905. Il nous explique que seulement 26 % des électeurs de droite veulent le « toilettage », tout en insistant sur le plus fort attachement, pour des raisons historiques, des électeurs de gauche à ce principe.

Cela prouve tout simplement que, là encore, comme sur l’Europe, Sarkozy et les élites de l’UMP et du PS sont en total décalage avec les aspirations populaires. Car, en quoi la laïcité positive de Nicolas Sarkozy est-elle différente de la laïcité pratiquée par les Martine Aubry à Lille, Edmond Hervé à Rennes, Bertrand Delanoë à Paris, ou bien les maires-maçons communistes, qui mettent la main à la truelle, et au porte-monnaie, pour financer de nouvelles mosquées ?

En quoi la laïcité positive de Sarkozy est-elle différente du discours des gauchistes compassionnels, des responsables du Mrap ou de la LDH, ou des « Indigènes de la République », qui considérant que l’islam est la religion des pauvres et des opprimés (en oubliant les émirs gavés de pétro-dollars) multiplient leur soutien à l’offensive des barbus et des voilées contre une République et une laïcité qu’ils exècrent. Leur défense du communautarisme religieux est une aubaine pour un président de la République qui veut instrumentaliser les Eglises, et notamment l’islam, pour mieux diviser le salariat et en finir avec le modèle français.

Finalement, le rêve de tous est d’arriver à un bipartisme à l’américaine, où l’UMP et le PS s’empaillent sur les marges. Différence liée à l’histoire, ce système pourrait tolérer une extrême gauche à la Besancenot, chouchou des médias, qui ne menace absolument pas le système, et lui donne une caution démocratique.

Finalement, tout ce beau monde se retrouve, avec Sarkozy, pour en finir avec la Nation, la République et la laïcité, chacun avec des habillages et des discours adaptés à sa famille politique.

Le décalage de tout cela avec les aspirations populaires, le malaise social qui va bien au delà de la baisse du niveau de vie de la majorité des Français, le vide politique sidérant qui existe aujourd’hui, l’abstention massive dans les quartiers populaires, ne peuvent qu’annoncer un rejet de plus en plus fort du système.

En 1968, certains disaient que la France s’ennuyait. Quarante ans plus tard, silencieusement, une sourde révolte gronde, une colère froide mûrit.

Nul ne sait comment cela peut déboucher, mais il ne peut demeurer éternellement, sans explosion, un tel abîme entre les aspirations populaires, et leur mépris par les “élites”.

(1) http://www.ndatv.info/article-70-traite-de-lisbonne-motion-d-ajournement.html