Politique

Ségolène Royal, programme pour les salariés

Evelyne Pathouot, ancienne attachée parlementaire de Ségolène Royal dans les Deux-Sèvres, révèle, dans un livre témoignage, plus de deux ans de sa vie au quotidien (1995-1997) avec la candidate PS. « Sujet tabou, explique sa collaboratrice. Elle a verrouillé ses codes d’accès. Il fallait les décrypter, c’est pourquoi mon livre n’est pas un pamphlet, mais un portrait, où je n’avance rien qui ne soit vérifié ni vérifiable. Ségoliste convaincue au début, j’ai, peu à peu, découvert une personnalité dont j’ai préféré me séparer. En cette veille d’élection présidentielle, avant que les électeurs ne la choisissent ou ne la rejettent, j’entends qu’ils sachent qui elle est. Car il y a Dr Royal et Miss Ségo. Nul ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu. » Tout commence à l’automne 1995, à la mairie de Beauvoir-sur- Niort. Employée d’une association — Ruravive —, Evelyne Pathouot vient expliquer à Ségolène Royal certains problèmes de la région. Intéressée par ses propos, la députée lui propose de l’embaucher. Evelyne commence « de manière informelle » en décembre 1995. Rien n’a été défini sur le plan juridique. Début janvier 1996, surprise… Au moment d’établir mon contrat, Ségolène m’expliqua qu’elle ne serait sans doute pas en mesure de me verser un salaire équivalent à celui que je percevais avec Ruravive. Sur le moment, cela ne m’inquiéta pas outre mesure. Elle avait sans doute épuisé son indemnité parlementaire et tout rentrerait dans l’ordre quand les services de la questure de l’Assemblée nationale débloqueraient des fonds. En attendant, Mme Royal avait une solution de « dépannage » grâce à l’un de ses « camarades », trésorier d’une association de type loi de 1901 : Poitou 93. Cette structure me verserait un complément de salaire. Je pourrais ainsi rester auprès d’elle, officiellement engagée à mi-temps. J’avais donc un demi-emploi légal et un demiemploi au statut moins… net. Hormis la petite sensation désagréable d’avoir été un peu « baladée », je m’accommodai de cette proposition un peu « limite » en me disant que c’était une solution temporaire. Il est vrai que ce genre de « petits arrangements entre amis » était encore assez courant à cette époque même s’il était le plus souvent fustigé par ceux-là mêmes qui y avaient recours. Il m’était revenu de contacter mon autre « demi-patron », le trésorier de Poitou 93, une association créée dans la petite commune de Melle, le 20 avril 1990, et présidée par Ségolène Royal. Ségoliste convaincu, ce responsable d’association était cependant suffisamment lucide pour être agacé par la manière dont on usait de lui comme d’un « intendant des volontés royales ». Aux premiers mots échangés, je m’aperçus, avec stupéfaction, qu’il ignorait tout de mon existence, tout de la situation nouvellement créée et que Ségolène ne lui avait rien dit. Je pris sur moi et, essayant de garder mon calme, je me décidai à expliquer le plus fermement que je le pouvais : « Ségolène m’a assurée que vous étiez disposé à prendre en charge la moitié de mon salaire. » Il blêmit, se leva de son bureau et se mit à arpenter la pièce contenant mal ce qui commençait de ressembler à une grosse colère. Au bout de quelques minutes, il explosa : « Elle est folle, complètement folle ! Avec ses histoires, on va tous finir en prison. » Suite au refus de l’association, Ségolène propose à Evelyne de lui verser le solde de son salaire de la main à la main. C’est à prendre ou à laisser. Elle prend… La députée multiplie les poses de premières pierres et les inaugurations. Elle n’a que peu de temps pour s’occuper du suivi concret des dossiers, car elle ne dispose d’aucun endroit pour travailler. Elle ne possède pas de studio sur place et, plutôt que de descendre dans un hôtel, préfère loger chez les militants. On sortait du placard le service des jours de fête, on allait chercher à la cave une bonne bouteille. Pour ne pas faire d’envieux, on conviait des voisins ou des camarades de parti. A l’arrivée, l’addition était plutôt salée pour des gens le plus souvent modestes. Mais de cela, Ségolène n’avait pas la moindre idée. Elle s’imaginait que c’était l’ordinaire de ses hôtes et c’est tout juste si elle ne s’attribuait pas le mérite de l’apparente prospérité de sa circonscription où la poule au pot n’était pas réservée au dimanche seulement. Et honneur à celui qui la recevait trop bien ! Il aurait certainement droit à une nouvelle visite. A cette époque, Ségolène n’aimait pas trop non plus s’embarrasser de bagages. Elle voyageait avec le strict minimum. Aussi, quand il faisait froid, elle n’hésitait pas à enfiler les charentaises du grand-père dès que celui-ci était monté se coucher. Et puis, elle profitait de ces agapes pour tenir réunion sur réunion. Après son départ, la maison ressemblait souvent à un véritable champ de bataille, mais elle, elle n’était pas peu fière d’assumer ce rôle d’élue de proximité. Comme elle ne disposait pas de voiture et qu’elle ignorait visiblement qu’on peut en louer une auprès d’établissements spécialisés — c’est l’hypothèse basse que je préfère retenir —, un militant ou une militante était réquisitionné pour lui servir de chauffeur et la convoyer du matin jusqu’au soir. Sitôt mon contrat signé, c’est à moi qu’échut cette mission qui allongeait indéfiniment mes journées de travail « à mi-temps ». Avec deux problèmes supplémentaires à la clé. D’abord, et au début du moins, Ségolène semblait ignorer superbement qu’il est nécessaire de faire, de temps à autre, le plein d’essence et que les stations préposées à cet effet ne distribuent pas gratuitement le précieux liquide qui sort de leurs pompes, comme le font avec l’eau les fontaines Wallace de Paris. Il me faudra beaucoup de temps et de doigté pour l’avertir de cette mauvaise nouvelle. Tout se passait bien sauf… à la fin de chaque mois, car je devais lui réclamer le complément de salaire qu’elle s’était engagée à me verser de la main à la main. Je me retrouvais transformée en mendiante sollicitant d’une bonne âme le secours financier dont elle a besoin pour nourrir les siens. C’était là une démarche profondément humiliante, dont je me serais volontiers passée car elle me faisait sentir la précarité de mon statut et ma totale dépendance à l’égard de ma « demi-employeuse ». Et, à chaque fois, Ségolène Royal semblait presque étonnée de me voir exiger mon dû, même si j’y mettais certaines formes. Très vite, je découvris qu’elle entretenait des rapports plutôt singuliers avec l’argent. A la manière de son mentor, François Mitterrand, elle n’avait jamais de liquide sur elle. Parfois, avant de repartir pour Paris, elle m’invitait à boire un verre au buffet de la gare. Comme deux amies de longue date, nous discutions autour d’un Perrier jusqu’au moment où, s’apercevant que l’heure avait tourné et qu’elle risquait de manquer son train, elle se levait précipitamment, me faisait « au revoir » avec un petit signe de la main et… me laissait régler l’addition. Scène sur le vif, au bureau, dans la permanence. Nous étions au téléphone et, pour la première fois, Ségolène me parlait d’un ton cassant, quasiment méprisant. Selon l’expression consacrée, elle me passait un savon, au motif que ma maladresse, pour ne pas dire mon incompétence, risquait fort de priver notre fameux comité d’expansion de la manne européenne. Elle s’était rendue à Bruxelles en toute confiance, assurée de pouvoir étudier avant son départ le dossier contenant l’ensemble des pièces qu’elle devait soumettre à ses interlocuteurs. Or, elle ne l’avait pas reçu suffisamment tôt parce que j’avais omis de l’envoyer à temps. J’avais devant les yeux le reçu de la poste prouvant que je lui avais bien fait parvenir à temps le fameux dossier. J’avais même avancé sur mes deniers personnels l’envoi du Chronopost. Je préférai néanmoins laisser passer l’orage. Pour la première fois, je venais de faire les frais de son interprétation personnelle du divertissement pascalien. Car je l’apprendrai ultérieurement, Ségolène était en « représentation publique ». En effet, lors de ce fameux coup de téléphone passé depuis son portable, elle se trouvait dans le TGV en compagnie de Jacques Delors. Sans doute avait-elle voulu déclencher chez son compagnon de voyage une réflexion admirative en lui exposant ses difficultés d’élue de terrain. Entourée de maladroits et d’incompétents, elle était obligée de veiller au moindre détail et de réparer les erreurs commises dans son dos. De quoi éventuellement susciter les encouragements de son interlocuteur et quelques sagaces conseils sur la manière dont elle devrait diriger son équipe. Elle avait, je le suppose, choisi de s’affirmer de la sorte. Elle me raccrocha donc quasiment au nez et je m’attendais à ce que sa prochaine visite dans les Deux-Sèvres ne soit pas pour moi une véritable partie de plaisir. Je me trompais lourdement. Vingt minutes plus tard, le téléphone sonna à nouveau. C’était Ségolène qui, cette fois, minaudait et bafouillait quelques excuses embarrassées. Elle regrettait de s’être emportée et m’embrassait. Il n’était plus question du fameux Chronopost. Elle me donnait l’impression de se conduire comme une petite fille prise en faute qui cherchait à se faire pardonner. Du grand art ! Et je tombai dans le panneau. J’aurai d’ailleurs l’occasion de constater qu’elle utilise volontiers cette « stratégie » pour désarmer ses adversaires. Et elle sait merveilleusement dissimuler cette tendance « colérique » en endossant, parfois inconsciemment, le rôle de la faible créature égarée dans un univers impitoyable d’hommes tous plus machistes les uns que les autres. Elle est parfois une sorte de saint Sébastien criblé de flèches auquel le sens de l’honneur ordonne qu’on le délivre de ses bourreaux. Cela lui permet d’esquiver certains coups bas ou de placer ses adversaires en position de faiblesse. S’ils la critiquent, ce n’est pas parce qu’elle a tort ou parce qu’ils ont une autre vision de la société. Non, elle est, en tant que femme, en tant que mère, en tant que Ségolène, la victime d’odieuses machinations qu’on épargne à ses rivaux. Cette posture victimaire ne se traduit pas exclusivement chez elle par « des cris et des larmes ». Elle en joue pour éluder toutes les questions embarrassantes… Au cours de l’été 1996, Evelyne est devenue assistante parlementaire en titre, dépendant de l’Assemblée nationale, mais, pour engager une personne supplémentaire, Ségolène médite de la faire rémunérer par EDF. La stupéfaction du responsable juridique del’entreprise mettra un terme à cette velléité… Quelques mois plus tard, victime d’un accident vasculaire cérébral, Evelyne est en congé de maladie. Ségolène Royal lui garantit son paiement, quand arrive la fiche de paie de février 1997, où figure cette mention : « Suspension de salaire ». Je décidai de faxer tous les documents aux services administratifs de l’Assemblée, et ses agents, particulièrement férus en matière de droit social, s’aperçurent rapidement qu’il y avait irrégularité. Devant la gravité des faits, Madame la députée fut convoquée pour s’expliquer. C’était une affaire qui risquait de lui nuire politiquement et Ségolène dut rendre des comptes. Cela me valut évidemment de sérieuses réprimandes. Sitôt sortie de son entretien avec les services administratifs du Palais- Bourbon, elle m’appela, folle de rage. J’avais semé la zizanie et j’étais la dernière des idiotes car je ne comprenais rien. Visiblement, la précarité éventuelle de ma situation financière ne semblait plus l’émouvoir. Ainsi, quand je lui expliquai que la suspension d’un mois de salaire était une véritable catastrophe, elle me rétorqua simplement : « Mais Evelyne, vous avez une pension alimentaire ! » De tout ce que j’ai pu entendre de Ségolène durant toute la durée de notre travail en commun, c’est probablement la phrase qui m’a le plus choquée. Comment cette femme, estampillée militante de la cause des femmes et qui prétend même aujourd’hui faire bouger les choses très vite (comme d’habitude…) sur cette question si elle est élue présidente de la République, pouvait-elle considérer une pension alimentaire comme un privilège et non comme un droit ? Et puis, de quel droit se permettait-elle de s’immiscer dans ma vie privée sous le fallacieux prétexte de ne pas me payer mon salaire alors que, dans le même temps, elle percevait mes indemnités journalières ? Visiblement impressionnée par ma réaction, elle finit par changer de ton, adoptant celui de la petite fille égarée dans un monde trop compliqué pour elle. Elle s’excusa en m’expliquant qu’elle ignorait tout des démarches administratives et me promit que tout allait s’arranger… Mai 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale. Ségolène est réélue. Lionel Jospin s’installe à Matignon, Ségolène devient ministre déléguée, chargée de l’Enseignement scolaire, sous la houlette de Claude Allègre. L’ambiance est assez tendue, car elle propose à ses trois collaboratrices des contrats « Education nationale ». Nous étions surprises, car nous ne comprenions pas, même avec la meilleure volonté du monde, en quoi notre mission de propagande ségoliste à Melle pouvait se rapprocher du service public de l’Education nationale. De plus, ces contrats étaient pour le moins singuliers. N’y figuraient ni la date de début d’engagement, ni la durée et l’intitulé du poste, et encore moins le salaire. La légalité de ces contrats était incertaine car, même ministre déléguée, Ségolène ne pouvait passer outre certaines règles de recrutement de la fonction publique. Tout cela me rappela ses promesses d’embauche par Poitou 93 ou EDF… Les trois jeunes femmes refusent. Peu de temps auparavant, elles avaient songé à alerter la presse sur les « curieuses conceptions du droit social » de la nouvelle ministre. Sentant la tension monter, Ségolène nous invita à déjeuner pour nous narrer par le menu son installation rue de Grenelle. Elle tentait son jeu de la séduction auquel j’avais déjà tellement succombé… Le patron du restaurant était très heureux de la recevoir. Madame la ministre fut saluée comme il se devait et se conduisit avec une apparente simplicité. Elle n’était pas en représentation mais avec des « ami(e)s de longue date », qu’elle entendait régaler de bons plats et du récit de ses nouvelles aventures parisiennes. Je pensais que plus rien ne pourrait me surprendre venant de sa part, quand soudain, elle proféra, avec une insouciance totale des propos qui, dix ans plus tard, me paraissent toujours inqualifiables. Alors qu’elle évoquait certaines de ses déclarations sur la pédophilie dont la presse avait fait grand bruit et qui avaient assis sa réputation de femme d’ordre et d’autorité, elle se félicita elle-même d’avoir eu « la chance » — ce fut le terme qu’elle employa — d’avoir eu un cas de pédophilie dans sa circonscription, « ce qui (lui donnait) de l’avance sur Claude Allègre ». Le terme « chance » me semblait plutôt mal approprié. Je ne voyais pas en quoi cela pouvait constituer pour une élue une occasion de se réjouir, ni de l’« avance » sur un autre ministre. Sa langue n’avait pas fourché. Elle avait tenu ces propos parce qu’elle y croyait sincèrement, tout comme elle pensait qu’une pension alimentaire pouvait aisément permettre à une employée à plein-temps de se contenter d’un demi-salaire. Cette phrase, prononcée de manière anodine, opéra en moi un véritable déclic. La séduction cessa définitivement d’opérer. Ce fut le dérapage de trop. Dorénavant, il ne me restait de ma collaboration avec Ségolène qu’une immense déception. Ma décision était prise, je ne travaillerais plus jamais à ses côtés…
par Evelyne Pathouot